L'incertain

De la bombe

by Maxence

Ophélie, poseuse de bombes dans l’hôtellerie dans De la bombe, est une fille inquiète.

“des états en général – celui du monde comme ceux de mon âme. Inquiète le matin, inquiète le soir, inquiète de l’avenir proche, de la préhistoire et plus encore du présent continu. (…) Inquiète que rien ne se produise mais que tout explose, (…) inquiète de ce qu’il faut de sang-froid et de persévérance pour faire trembler l’univers.”

Pendant longtemps, je n’ai pas su deviner ce que voulait faire Ophélie avec sa bombe. Ophélie, ou bien Clarisse Gorokhoff, l’auteure du livre ?

Et puis, les mots de Derya, la complice invisible d’Ophélie, se sont mis à résonner :

“Si le monde est de trop, on peut l’éliminer. Et si l’avenir se refuse à nous, on peut l’annuler. C’est la liberté, choisir plus fort que les autres.”

 

Après avoir posé sa bombe contre son monde, Ophélie ne choisit pourtant plus rien. Elle raconte. Sa relation avec un riche turc, son amitié avec Eliot. Elle est en déséquilibre, une vie de passion qui ne sait plus ni se réparer ni réparer les autres.

“J’aimerais caresser ce que j’ai dégradé (car je ne pourrai pas le réparer). À tous ceux dont j’ai abîmé la vie, je promets de bâtir des temples de souvenirs, de pardon et de reconnaissance.”

L’arrivée d’une voisine lui donnera une chance d’oublier la bombe, une fuite réparatrice. Comment se débarrassera-t-elle du corps, avec quel hommage ? Qui se cache dans le coffre ? Quel sens donner à tout ça ? Une réponse, peut-être, est donnée entre les pages.

“La vie est absurde, oui, les histoires sont folles, les trajectoires souvent tragiques mais il reste la plénitude des routes, cette sensation de pouvoir rouler à perte de vue sans écraser personne.

Les étoiles vont bientôt envahir le ciel, c’est l’heure bleue, ce bleue incandescent qui désamorce les scandales et suit le mouvement des vagues. Il faut tracer, arriver quelque part.”

L’occasion, ici, de souhaiter une bombe de rentrée au monde entier.

Donald Trump et la fin du monde

by Maxence

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Vu sur lemonde.fr.

Verre Cassé

by Maxence

Colony Plaza Bar

Le patron du Crédit a voyagé n’aime pas les formules toutes faites du genre « en Afrique quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle », et lorsqu’il entend ce cliché bien développé, il est plus que vexé et lance aussitôt « ça dépend de quel vieillard, arrêtez donc vos conneries, je n’ai confiance qu’en ce qui est écrit », ainsi c’est un peu pour lui faire plaisir que je griffonne de temps à autre sans vraiment être sûr de ce que je raconte ici, je ne cache pas que je commence à prendre goût depuis un certain temps, toutefois je me garde de le lui avouer sinon il s’imaginerait des choses et me pousserait encore plus à l’ouvrage, or je veux garder ma liberté d’écrire quand je veux, quand je peux, il n’y a rien de pire que le travail forcé, je ne suis pas son nègre, j’écris aussi pour moi-même, c’est pour cette raison que je n’aimerais pas être à sa place au moment où il parcourra ces pages dans lesquelles je ne tiens à ménager personne, mais quand il lira tout ça je ne serai plus un client de son bar, j’irai trainer mon corps squelettique ailleurs, je lui aurai remis le document à la dérobé en lui disant « mission terminée »

Mission impossible mais terminée pour Alain Mabanckou, un Verre Cassé qui vous pousse dans les recoins d’un bar, comme ça, sans jamais, ou bien si rarement qu’on n’y prête pas attention, utiliser de point, mais tout de même, qui sait utiliser les virgules, les mettre ici, ou là, pour que ça soit tout de même lisible, que les plus insistants de l’espèce humaine s’accrochent et aillent jusqu’au bout du bout, là, ou bien même un peu avant, où l’on parle capitalisme et sorcellerie

Zéro Faute qui faisait semblant de méditer a enfin parlé, il a soupiré en ces termes « madame, je vous remercie d’avoir ces paroles de sagesse, mais comprenez bien que c’est le diable qui habite le corps de votre époux, c’est ce démon qui parle comme ça, je vous promets que nous allons sortir ce diable de son corps, croyez-moi, je ne m’appelle pas Zéro Faute par hasard, et comme vous le savez tous, j’ai lutté contre des esprits bien plus rebelles que ça », moi j’ai repris ma rage en criant « arrête tes conneries, pauvre menteur, pauvre grand escroc, pauvre vendeur de chimères, pauvre homme aux sept noms et des poussières, pauvre matamore, pauvre charlatan, pauvre prestidigitateur sans talent, pauvre profiteur, pauvre capitaliste, vade retro Satana », j’ai dit tout ça, et Zéro Faute s’est énervé tout à coup, et il a perdu son contrôle, et il a exhibé son sourire le jaunâtre, et il a fait grincer ses chicots calcinés, et c’est ce que je recherchais, je voulais qu’il soit hors de lui, et il a dit « tu me traites de capitaliste, moi, hein, c’est moi que tu traites de capitaliste, est-ce que je suis un capitaliste, moi, répète encore tes blasphèmes devant les masques des ancêtres et tu verras si je ne transforme pas ta bouche-là en groin », et il a crié comme ça, et j’ai insisté « oui, tu es un pauvre capitaliste, tu fais l’exploitation de l’homme par l’homme, vade retro Satana »

Entre quelques histoires des clients réguliers du bar, capitalistes, guérisseurs ou congolais qui ont fait la France, c’est l’envie d’écrire qui reste, après tout, Verre Cassé n’avait-il peut-être plus que ça à faire pour survivre aux histoires des accoudés au bar.

« Crois-moi, j’ai essayé plusieurs fois moi-même, mais rien ne tient parce que j’ai pas le petit ver solitaire qui ronge ceux qui écrivent, toi ce ver est en toi, ça se voit quand on discute littérature, tu as soudain l’œil qui brille et les regrets qui remontent à la surface de tes pensées, mais c’est pas pour autant de la frustration, c’est pas non plus de l’aigreur, parce que je sais que tu es tout sauf un gars frustré, sauf un gars aigre, tu n’as rien à regretter, mon vieux », j’ai gardé le silence, et il a poursuivi ses propos « tu sais, je me souviens d’une de nos conversations où tu me parlais d’un écrivain célèbre qui buvait comme une éponge, c’est quoi déjà son nom », je n’ai pas répondu, et il a enchaîné « eh bien, depuis notre discussion, je me dis que peut-être que si tu t’es mis à boire c’était pour suivre l’exemple de cet écrivain dont le nom m’échappe, et quand je te vois aujourd’hui, je me dis que tu as quand même une gueule pour ça, en plus tu te moques de la vie parce que tu estimes que tu peux en inventer plusieurs et que toi-même tu n’es qu’un personnage dans le grand livre de cette existence de merde, tu es un écrivain, je le sais, je le sens, tu bois pour cela, tu n’es pas de notre monde, y a des jours où j’ai l’impression que tu dialogues avec des gars comme Proust ou Hemingway, des gars comme Labou Tansi ou Mongo Beti, je le sais, alors libère-toi, on n’est jamais vieux pour écrire »

(…)

Si j’étais écrivain je demanderais à Dieu de me couvrir d’humilité, de me donner la force de relativiser ce que j’écris par rapport à ce que les géants de ce monde ont couché sur le papier, et alors que j’applaudirais le génie, je n’ouvrirais pas ma gueule devant la médiocrité ambiante, ce n’est qu’à ce prix que j’écrirais des choses qui ressembleraient à la vie, mais je les dirais avec des mots à moi, des mots tordus, des mots décousus, des mots sans queue ni tête, j’écrirais comme les mots me viendraient (…), ce serait alors l’écriture ou la vie, c’est ça, et je voudrais surtout qu’en le lisant on dise « c’est quoi ce bazar, ce souk, ce cafouillis, ce conglomérat de barbarismes, cet empire des signes, ce bavardage, cette chute vers les bas-fonds des belles lettres, c’est quoi ces caquètements de basse-cour, est-ce que c’est du sérieux ce truc, ça commence d’ailleurs par où, ça finit par où, bordel »

 

Vendredi 13 novembre 2015

by kaullyne

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http://www.huffingtonpost.fr/2015/11/14/joann-sfar-dessins-attaques-paris_n_8562520.html?utm_hp_ref=france

Incendies

by kaullyne

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Incendies ravage tout sur son passage et vous entraîne dans ses pages jusqu’à ce que vous demandiez grâce et même là, il ne vous lâche pas jusqu’à ce que le mot fin apparaisse.
Wajdi Mouawad est sans concession.

Il est dur, nous obligeant à plonger avec lui dans ce monde a la fois si proche et si lointain du notre.

Tirée de la pièce de théâtre du même nom, cet ouvrage est bouleversant.

NAWAL. Simon?
Est-ce que tu pleures?

Si tu pleures ne sèche pas tes larmes

Car je ne sèche pas les miennes.
L’enfance est un couteau planté dans la gorge

Et tu as su le retirer.

À présent, il faut réapprendre à avaler sa salive.
C’est un geste parfois très courageux.
Avaler sa salive.

À présent, il faut reconstruire l’histoire

L’histoire est en miettes.

Doucement
Consoler chaque morceau

Doucement

Guérir chaque souvenir

Doucement

Bercer chaque image.

Jeanne,

Est-ce que tu souris ?

Si tu souris ne retiens pas ton rire

Car je ne retiens pas le mien.
C’est le rire de la colère

Celui des femmes marchant côte à côte

L’OPA du panda

by Maxence

Que penser de la vogue des artefacts animalisés ? Cette animalisation de certaines machines, comme les tamagotchi ou le robot chien Aibo, joue-t-elle selon vous en faveur ou contre les animaux ?

Aujourd’hui, la situation est celle d’une concurrence évolutionniste entre les artefacts animalisés et les animaux naturels. La question de la séduction est essentielle car dans un certain nombre de cas de figure, les artefacts vont devenir plus intéressants, plus séduisants que les animaux naturels, surtout pour les jeunes générations qui vont avoir de moins en moins de contact avec la vraie nature.

Shery Turkle, sociologue américaine au MIT, raconte comment sa fille pré-adolescente, après avoir visité consécutivement Disneyworld puis l’aquarium d’Orlando, trouve les tortues réelles beaucoup moins bien que les tortues machines.

Photo : st3f4n/flickr

Photo : st3f4n/flickr

(…) La désirabilité humaine devient alors une contrainte évolutive forte et inédite. Avant les facteurs décisifs étaient le rapport proie/prédateur, la possibilité de trouver un partenaire sexuel pour assurer la reproduction, etc. Maintenant, la nouvelle contrainte fondamentale c’est de plaire à l’humain.

Pourquoi le panda qui est un animal complètement inadapté est en train de survivre ? Parce qu’il y a des millions de gens autour du monde qui trouvent fabuleux le panda alors que c’est un animal absolument stupide. Le panda a fait une OPA formidable sur les désirs humains et cela le sauve.

Lu dans Vacarme, numéro 70, hiver 2015, in Le commun sans frontière, entretien avec Dominique Lestel

Les boloss des belles lettes

by kaullyne

http://bolossdesbelleslettres.tumblr.com/

by kaullyne

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Le féminisme est un sport de combat.

Femmes de lettres, je vous aime

Inassouvies, nos vies

by Maxence

Nos vies, incertaines, cheminent. Betty, elle, vit par procuration ; de sa fenêtre, elle en transperce d’autres, celles de ses voisins, de l’autre côté de sa rue. Elle cherche. Elle s’interroge.

Qu’est-ce qui différencie ou caractérise ces cubes, ces carrés, ces rectangles, ces losanges, ces cavités, toutes ces innombrables fantaisies architecturales réunies sous le vocable habitations ? En dehors de leur forme, qu’est-ce qui en fait des demeures et non des sépultures ? Que s’y passe-t-il de si fort, de si réel, de si dynamique, de si tangible, qui ne puisse avoir lieu au cimetière et qui justifie qu’on appelle ces endroits des lieux de vie ? Vivre, ça couvre quelle superficie ? Quel sens donne-t-on à ce verbe, au point de lui réserver des lieux ? Ne vit-on pas également lorsqu’on se promène en forêt, en traversant la rue ou en bandant ses muscles pour propulser sa barque sur un bras de mer lascif ? Les bureaux et les usines seraient-ils des lieux de morts ?

Les maisons nous dévorent, et trop souvent il n’y a personne dedans pour nous chérir, alors, alors, on domestique des animaux, qu’on soit jeune, vieux, ou d’âge moyen.

Les animaux ne mesurent pas la chance qu’ils ont, mais ils ignorent également l’étendue des misères qui leur viennent de là. Bien souvent, il leur est donné le privilège de jouir d’une attention qu’on aurait souhaité offrir à d’autres. Mais que ne leur demande-t-on en échange ? Mon chat, mon lapin, mon chéri ! Ma poule, ma biquette, ma chérie ! Inassouvi, notre besoin d’aimer et d’être aimé. Quand le rendez-vous est manqué, quand l’espoir s’est brisé, sans la vitale réciprocité affective, on dérive, on échoue seul au fond d’une crique. On voudrait pourtant se donner, mais à qui ? Certains se résignent. D’autres espèrent encore. Pourquoi pas ?

Des alternatives aux animaux, il y en a — les textos, les je-suis-sur-WhatsApp et autres on-se-fait-un-Skype. Fatou Diome fait parler Betty de ces technologies, un air de déjà vu peut-être, mais qui rassure toutefois la critique technophobe.

Texto : Si je ne t’appelle pas demain, je te ferai un mail. Bises, à plus. Se voir, c’est toujours plus tard. Ces baisers sur écran, on les voudrait tellement sur la joue. Tout le monde est presque là, mais personne n’est là. La présence se devine plus qu’elle ne s’éprouve. Nous sommes devant des vallées asséchées, où seuls des fossiles nous font imaginer qu’il y coulait autrefois une belle mer bleue. Plus les écrans rétrécissent, plus les distances qui nous séparent s’élargissent.

Betty n’a pas eu peur des écrans. Félicité, la mamie d’en face, avec qui elle est maintenant amie, n’en a d’ailleurs pas, si ce n’est peut-être une télévision. Elle lui rend visite à la maison de retraite. Au diable les écrans, elle, son truc, ce sont les horizons.

Lorsque l’aide-soignante sombrait dans l’abîme des questions sans réponses, elle [Félicité] arguait de son expérience pour lui redonner confiance dans l’avenir, cet avenir auquel elle-même avait, secrètement, renoncé de croire. Lorsqu’elle s’exclamait : Mais, ma petite, vous avez tout l’avenir devant vous ! L’aide-soignante se réchauffait à son rire et lisait dans ses rides autant de sillages possibles. Où va la barque ? Nul ne sait. L’essentiel est de ramer, de persévérer, même à travers la tempête. Non, tout n’était pas perdu. A quatre-vingt-quatre ans, cette dame croit encore à la vie, alors pourquoi pas moi ? songeait l’aide-soignante. De la vie, Félicité n’attendait plus rien, mais ça, elle le taisait. Un guide n’avoue pas qu’il a perdu son chemin : de son assurance, même feinte, dépend le moral de sa troupe. Chut ! On avance ! Tant qu’il a l’horizon, on ne peut qu’avancer.

Inassouvie, la vie, puisqu’elle a toujours besoin d’un horizon.

by kaullyne

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